PORN DAY AFTERNOON – Chronique d’une fièvre

par Jackson Norriega


Ça commence par un thermomètre qui, en sortant de ma bouche, indique 38,6°. A peine étonnant : j’ai mal au crâne et je sors d’un rêve étrange où ma mère me dévoilait un secret de famille tout en grignotant les intestins d’un type qui gisait là, le bide ouvert, sur la table du salon – je crois que le cadavre était celui de mon prof de maths de 6ème E; par contre je ne me souviens plus du secret de famille dont il était question, je sais juste que vers la fin, ma mère commençait à se déshabiller en chantonnant « Mon fils, ma bataille » de Daniel Balavoine, mais ça j’en parlerais à mon psy mercredi.
Je sais plus combien il faut ajouter de degrés par rapport à la température rectale, alors j’allume mon ordinateur et je tape dans google : « température + buccale + rectale ». Le nombre d’entrées à caractères pornographiques que me propose le moteur de recherche est hallucinant, et comme je n’ai toujours pas débugué la fonction de blocage des messages viraux, voilà mon écran bombardé de publicités pour des sites de cul. Bref, à la page 24, je trouve enfin un lien vers un portail médical qui m’informe que je peux rajouter 0,4° entre ma bouche et mon derrière.
Ca me fait 39°!
Paniqué, j’avale quatre cachets d’Aspirine du Rhône et j’appelle immédiatement la rédaction du Laboratoire pour les prévenir que je ne pourrais pas me présenter aujourd’hui. Une fois le téléphone raccroché, je me demande pendant trente bonnes secondes ce que je vais bien pouvoir foutre de ma journée, et la première chose que je décide, c’est de ne pas me laver. Voilà. J’ai sué comme un porc pendant que je rêvais de ma mère, mais tant pis. Après tout, je vais passer la journée seul avec moi-même, alors les contingences sociales, pardonnez-moi, mais pour une fois, hein ? Même pas les dents. 
Décision n°2 : un café. 
Décision n°3 : prendre des nouvelles de mes 1456 amis sur Facebook. 
Hop ! Bof ! Derechef ! J’ouvre ma page et je consulte les deux notifications qu’on m’a laissé concernant un bon mot que j’ai posté la veille sur l’invasion nocive des lolcats. Pendant l’heure qui suit, je regarde toutes les conneries politico-animalières du fil d’actualité en m’attardant uniquement sur les articles qui sont accompagnés soit d’une photo, soit d’une vidéo et dont le texte tient intégralement dans la case visible – je déteste quand il faut cliquer sur « lire la suite ». C’est con, parce qu'y a des trucs qui semblent intéressant, mais j’ai la flemme, de la fièvre, je sais que je vais rien faire d’autre de ma journée que de glander sur internet, alors je vais pas en plus m’emmerder à lire les trucs trop longs. Jusqu’à ce que je tombe sur un post qui renvoie à un lien qui ouvre sur un site qui titre : « Merci qui ? Merci Jacquie & Michel ! Vraiment ? ». L’auteur du post précise dans son chapeau qu’il s’agit d’une enquête sur le plus gros site de cul amateur de la toile, que ça dénonce pas mal de dérives, avec témoignages d’actrices et tutti quanti.
Whoua ! Ce m’intéresse.
Je clique et je commence à dévorer l’article. C’est vrai que ça balance. Les conditions des filles, les tournages à la chaine, le système Jacquie & Michel avec ses extraits vidéo de 7 minutes maxi que si tu veux continuer à te branler, faut que tu sortes ta carte bleue, etc. Mais alors là, je sais pas vraiment ce qui me prend – et sur le coup, j’espère juste que c’est la fièvre, et pas le rêve avec ma mère – toujours est-il qu'avant même d’avoir fini de lire, je suis déjà sur le site de Jacquie & Michel, et je regarde toutes ces vignettes, avec tous ces seins, tous ces sexes rasés, tous ces mecs à vingt deux sur la même nana, des jeunes, des vieux, des grosses, des maigres, parfois même des types déguisés en animaux ou en cow-boy… Enfin bon, je suis vachement tenté, mais je sais pas quoi choisir et moi, le choix, désolé, mais ça me coupe tous mes effets. Du coup, je repars sur l’article que j’ai pas fini en me disant que ça va surement me calmer un peu de savoir que pour la scène de la fille avec 22 gars, ça a duré 5 heures et que la pauvre actrice a vraiment compris le sens de l’expression « Je vais te casser tes petites pattes arrières ». Bingo ! Quand je quitte le site, je suis bien dégouté. De Jacquie & Michel en tout cas. Parce qu’aussitôt, je débarque sur YouPorn

Alors sur YouPorn, c’est pas compliqué, question choix, c’est comme quand vous prenez l’option buffet chez Pizza Paï. Y en a partout, à volonté, pour tous les gouts, et c’est gratos. Donc, c’est trop. Ça m’angoisse. Je ferme la page et je passe sur Tukif. Là, c’est plus Pizza Paï, c’est carrément le rayon visserie et boulons de Leroy Merlin. Enfin, merde, y a pas un site qui propose juste une dizaine de vidéos tranquilles pour les type comme moi, qui ont peu d’exigences – pas de seins siliconés, plutôt des blondes mais pas teintes, pas d’épilation intégrale, plutôt deux filles et un mec, que deux mecs et une fille, pas en plein air, plutôt cool que gonzo, etc. Au bout du compte, je me dis : Ok ! On va faire ça en bon père de famille. Je reviens sur google et je tape « films porno torrent »
Et là, c’est l’avalanche. 
« Environ 1.560.000 résultats ». Je regarde l’heure : 11:29.
En temps normal, je ne bois jamais avant midi. C’est comme ça qu’on reste un consommateur occasionnel. Seulement voilà, j’ai fini ma tablette de Xanax avant-hier. Je m’accorde donc une petite 8.6 que j’ai conservé en cas de coups durs et je la sirote en parcourant les pages de google pour trouver au moins un truc à me mettre sous la dent. Le problème, c’est qu’avec toute l’aspirine que j’ai prise deux heures plus tôt, mon sang est hyper fluide. Et les huit degrés six de la bière s’enquillent dans mon système à la vitesse d’un cheval au galop – comme on dit de la marée haute au Mont St Michel. Résultats des courses, quand je rouvre les yeux, il est quatre heures de l’après midi, j’ai mon pantalon de pyjamas sur les chevilles et mon ordinateur portable qui m’ébouillante les cuisses – j’ai volontairement déréglé la ventilation parce que ça faisait trop de bruit.
Je me lève pour aller me passer de l’eau fraiche sur le visage, me tartiner les jambes de Biafine, le miroir me renvoie l’image d’un pauvre type aux aboies, j’ai un peu honte de ma condition, je tâte mon front, mais comme ma main est chaude, je n’arrive pas à déterminer si j’ai ou non encore de la fièvre. J’avale quatre nouvelles Aspirines du Rhône et je reprends mon ordinateur portable. 
Sur Facebook, les nouveaux post se sont accumulés, alors je potasse jusqu’à tomber sur une énième compilation de lolcats, puis une énième compilation des meilleurs vidéos d’alcooliques russes, puis une énième compilation de pseudo cascadeurs américains, puis une énième compilation de sportifs qui se cassent la gueule.


C’est une faim douloureuse qui finit par me tirer de ma contemplation. Dehors, il fait nuit, dedans il fait seize degrés, dans mon intérieur, la température est revenue à la normale. Il est 23:42. Au moins, je suis guéri.
Debout dans ma cuisine, j’ingurgite les restes froids d’une pizza océane qui vieillit dans mon frigo depuis une semaine et demie. 
A 3:23, je suis agenouillé au-dessus de mes chiottes et je dégobille des bouts de saumon et de palourdes. 
A 7:32, le toubib de SOS Médecin détache de mon bras le bracelet de son tensiomètre, m’annonce que je souffre d’une intoxication alimentaire et me réclame 75 €. 
A 8:00, j’appelle la rédaction du Laboratoire pour leur dire que je suis toujours malade. 
A 8:04, je rallume mon ordinateur.

 Jackson Norriega
photographe pour le Petit Laboratoire des Potentialités Globales
depuis 2007