LA SOLITUDE DU STAGIAIRE AU MOMENT DE LA PAUSE DÉJEUNER


Personnellement, moi, ils me font bien marrer, tous ces connards ! J’avais prévenu : on me laisse les commandes du labo et on compte sur moi pour pondre l’édito de rentrée, vous allez pas être déçu.

Parce que de quoi vous voulez que je parle ?
Je viens de passer une demi-heure sur les réseaux sociaux à lire les commentaires de mes collègues sur l’actualité, et l’angoisse m’a saisi. Tout a déjà été dit. Je me retrouve un peu comme dans la chanson des Buggles, version « Facebook likers kill the blogs writers ».
Un manifeste sur la lutte des classes après l’affaire des chemises déchirées ? Franchement, j’ai écrit un post sur ma page FB la semaine dernière, je vais quand même pas vous faire un copier/coller.

Un truc sur les migrants ? Qu’est-ce que j’aurais de neuf à analyser alors que je vis à Bordeaux et que tous ces pauvres types ont certainement envie d’aller se faire exploiter ailleurs que dans les rangs de vignes du Médoc ?

Un bon mot sur les attentats d’Ankara ? Pour passer pour un pro-kurde, donc un défenseur des minorités ostracisées, donc un pro-palestinien, donc un pro-arménien, alors qu’en temps normal, je suis à peine livreur de pizzas, que j’y connais que dalle en politique internationale et que je risque dire une connerie ? Merci bien. J’ai eu 3,5 en histoire-géo au bac, je vous le rappelle.

Un commentaire sur les bombardements en Syrie ? Non, mais ça va pas la tête ? Je vais dire que je suis pour, on va me traiter de fils de pute et je vais me retrouver avec un barbu dans mon jardin qui voudra me passer à la kalash. Que je suis contre, et je vais perdre la moitié de mes amis Facebook. Que j’en pense rien, et ça sera l’autre moitié qui partira en me crachant à la gueule que je suis un con de Suisse. Vous savez combien de temps j’ai mis à attirer mes 1232 potes virtuels ?

Un prélude à la COP 21 ? Bien voyons ! Je serais foutu de m’emmêler les pinceaux et de passer pour un climato-septique.

Non, cherchez pas, moi-même, je trouve rien.

A part peut-être cette jolie petite poésie que j’ai appris en CM2 et que j’aimais bien aller réciter au tableau pour que mon institutrice n’aille pas dire à mes parents que je foutais rien et qu’ils feraient mieux de m’orienter en filière technique dès qu’ils en auraient l’occasion.
C’était un truc de Jean Tardieu, ça s’appelait « Conversation » et ça disait ça :


« Comment ça va sur la terre ?
  Ça va, ça va. Ça va bien.
  Les petits chiens sont-ils prospères ?
  Mon Dieu oui, merci bien.
  Et les nuages ?
  Ça flotte.
  Et les volcans ?
  Ça mijote.
  Et les fleuves ?
  Ça s’écoule.
  Et le temps ?
  Ça se déroule.
  Et votre âme ?
  Elle est malade. Le printemps était trop vert, elle a mangé trop de salade. »

Voilà ! Ca y est ? C’est bon ? Je peux bouffer tranquille maintenant ?

 
Emile Partagas
Pizzaiolo.